Le jeu des différences
La détermination d'une espèce est bien souvent l'affaire de détails et l'on a parfois du mal à s'imaginer que d'aussi petites différences entre des individus classés dans des espèces distinctes soient bien diagnostiques d'une véritable séparation biologique. Car le problème se trouve bien là : si l'on définit l'espèce comme un groupe d'individus isolés reproductivement d'autres groupes, on ne peut pas tester cela pour tous les êtres vivants ! Il faut donc se résoudre à utiliser des différences de morphologie, de couleur, de comportement en gardant à l'esprit que ces différences reflètent d'une façon ou d'une autre un isolement génétique. Chez les insectes, et c'est donc valable pour les libellules, l'accouplement donne lieu à une complexe imbrication des pièces génitales du mâle et de la femelle. Une petite différence dans la forme de ces pièces chez l'un des deux sexes et la clé ne rentre plus dans la serrure ce qui conduit à l'isolement. Regardons désormais ces photos de libellules. Ce sont toutes des Orthétrums appartenant à deux espèces différentes, l'Orthétrum à stylets blancs (Orthetrum albistylum) et l'Orthétrum réticulé (Orthetrum cancellatum). Il se ressemblent beaucoup mais saurez-vous identifier la différence la plus visible entre les deux avant de lire la réponse à la phrase suivante ? Il faut regarder les pièces génitales, elles sont de couleur gris sombre chez l'Orthétrium réticulé et blanchâtre chez l'Orthétrum à stylets blancs. Je vous laisse maintenant attribuer chacune de ces photos à la bonne espèce ! Cet article est aussi l'occasion de rappeler que la naissance des espèces est souvent (pas toujours) un processus long (de l'ordre de la centaine de milliers d'années ou plus dans de nombreux cas) et que toutes les espèces disparaissent un jour (leur durée d'existence est très variable et l'espèce humaine n'échappera en aucune façon à cette règle). Actuellement toutefois, il semble que les espèces disparaissent à un rythme beaucoup plus élevé que le rythme classiquement constaté dans le registre fossile (les scientifiques estiment que le rythme actuel des extinctions est 10 à 100 fois plus rapide que la "normale"). Notre négligence, notre ignorance du monde vivant (des espèces disparaissent sans aucun doute avant même d'avoir été découvertes) et notre mode de vie beaucoup trop gourmand (je parle ici des sociétés du Nord) en sont les premiers responsables, alors, photographes, amoureuses et amoureux de la nature, partagez vos rencontres sauvages, faites connaître ces richesses afin d'apporter une petite pierre au mur qui freinera peut-être cette crise biologique...
Orthétrum à stylets blanc (Orthetrum albistylum) femelle (Parc de Miribel-Jonage, 69, juin 2013, Canon EOS 50 D + 100 mm macro)
Orthétrum réticulé (Orthetrum cancellatum) femelle (Parc de Miribel-Jonage, 69, juin 2013, Canon EOS 50 D + 100 mm macro)
Orthétrum réticulé (Orthetrum cancellatum) femelle (Parc de Miribel-Jonage, 69, juin 2013, Canon EOS 50 D + 100 mm macro)
Orthétrum à stylets blanc (Orthetrum albistylum) mâle (Parc de Miribel-Jonage, 69, septembre 2012, Canon EOS 50 D + 100 mm macro)